Fusion des régions : N'oubliez pas l'innovation ! par Sophie Rohfritsch

Sophie Rohfritsch, députée du Bas-Rhin, a présidé pendant dix ans (2004/2014) la commission recherche, enseignement supérieur, innovation du conseil régional d'Alsace, où elle siégeait à la Vice- Présidence.

Au cours de ses deux mandats, elle a été un des témoins privilégiés de l’évolution des relations entre les collectivités territoriales, et tout particulièrement la Région, et les acteurs de la recherche et de l'enseignement supérieur.

Désormais, cespolitiques régionales vont devoir être totalement repensées, en raison du regroupement des régions, dans le grand Est notamment, où Alsace, Lorraine et Champagne- Ardennes sont appelées à fusionner; mais aussi en raison de la raréfaction des ressources financières des collectivités territoriales.

A l'heure où les contraintes financières sont importantes, il est essentiel que le soutien publicà l'innovationsoit efficace, et permette aux entreprises d'accéder facilement aux ressources scientifiques du territoire dans lesquels elles évoluent, pour les inciter à innover et à retrouver des marges de compétitivité.

Pour ce faire, la politique de soutien des collectivités locales en matière d'innovation,  doit être ciblée et affectée prioritairement aux projets innovants portés par les entreprises du territoire, et non au fonctionnement destructures para- publiques bien souvent inefficaces.

En outre, le regroupement, la fusion et la création de nouvelles régions, contraignent à faire, dans un premier temps, l'inventaire des politiques existantes et ensuite à  analyser les forces des nouveaux territoires, afin d' identifier dessecteurs stratégiques communsqui seront autant, de gisements de nouveaux projets.

Comment les collectivités ont-elles,  jusqu'ici,  accompagné le développement économique par l'innovation?

L'accompagnement de l'innovation s'est fait jusqu'ici, de plusieurs manières : lepremier poste a longtemps été  celui du financement de l'immobilier universitaire et/oudédié à la recherche.

Les financements étaient également dédiés à l'acquisition d'équipements de rechercheavec la plupart du temps la mobilisation de fonds européens.

D'autres voies de financements moins traditionnelles ont accompagné des politiques nationales mises en place au début des années 2000, visant à favoriser la mise en place d'écosystèmes favorables à l'innovation : les pôles de compétitivité et autres Programmes Investissements d'Avenir, en sont des illustrations.

On a vu fleurir en fonction de l'imagination des territoires et de leur potentiel, divers modes de soutien :

-  Soutien au montage de projet

-  Financement de la preuve du concept

-  Financement et accompagnement des structures de valorisation de la recherche publique

-  Financement de projets innovants collaboratifs labo/entreprise

-  Soutien aux incubateurs, aux fonds d'amorçage, ou en fonds propres lorsque le projet est plus mature.

Il y a désormais quasiment autant de dispositifs que de collectivités !

La situation financière des collectivités va-t-elle leur permettre de continuer à financer le développement économique par l'innovation sans réorienter les outils existants?

Les ressources publiques doivent être maîtrisées et utilisées le plus efficacement possible.

Il est aujourd'hui primordial d'évaluer avec rigueur l'efficacité des outils mis en place.

Mais cette évaluation n'est pas encore complètement opérationnelle, et se heurte à de nombreuses difficultés :

-  Incapacité de collecter des chiffres récents.

-  Difficulté d'évaluer les retombées économiques réelles directes et indirectes, ainsi que "l'effet de levier" (ratio argent public investi / argent privé levé)

-  Difficulté  de faire des choix d'investissement et de priorités en fonction du potentiel identifié sur un territoire

-  Et surtout difficulté d'imposer une gouvernance resserrée entre les financeurs locaux et l'Etat, et, de fait, multiplication des structures d'accompagnement(et donc des coûts de fonctionnement)

Parmi les structures dont les coûts de fonctionnement pourraient être optimisés, on trouve désormais : les pôles de compétitivité, les agences régionales de l'innovation (généralistes ou thématiques), les départements spécialisés des agencesde développement économiques, les services supports et administratifs des incubateurs, les Sociétés d'Accélération et de Transfert de Technologie (SATT), les services de valorisation des universités, les services dédiés des collectivités, des agglomérations…

Or, les financements publics devraient être exclusivement dédiés aux projets desentreprises, la priorité étant, la stimulation dela R&D privée, et, dès lors, il est urgent de limiter de façon importanteles frais de fonctionnement, et les coûts de cesstructures.

Par ailleurs, il est essentiel aussi de fixer avec clarté l'étendue du service public de l’innovation, et de fait son coût pour l'entreprise. La gratuité du service ne peut couvrir l'ensemble du projet de l'entreprise, car innover suppose aussi une certaine prise de risque, et un investissement financier de la part de l'entrepreneur.

Quelles sont les mesures qui permettraient une meilleure coordination des financeurs ?

Les Collectivités devraient orienter leurs financements versles projets qui ont pour objectifle développement économique en « temps court » qui sont également ceux qui ont le plus fort impact économique sur le territoire.

L'Etat, quant à lui, doit continuer à soutenir la recherche fondamentale, absolument indispensable, et qui semble aujourd'hui relativement mal traitée, car elle a été de façon assez absurde soumise quasiment aux mêmes règles de financement et de fonctionnementque la Recherche appliquée.

L'Université doit stimuler la valorisation de la recherche publique en coordonnant par une politique de site efficace les différents acteurs, et doit inclure dans tous les parcours de formation la culture de l'entreprise et l'innovation. A cet égard lesinitiatives qui ont fleuri pour développer l'entreprenariat étudiant, en partenariat avec les incubateurs, sont particulièrement intéressantes.

Il est absolument nécessaire que la formation universitaire soit elle-même innovante,  pluridisciplinaire et transversale et qu'elle intègre mieux les Sciences Humaines et Sociales.

Mais surtout, il est fondamentalque les financeursharmonisent et coordonnent leurs politiques localement, afin de les rendre plus lisibles, de raccourcir les délais d'instruction, d'éviter les financements croisés et surtout d'avoir une vision stratégique partagée.

Cette coordination serait facilitée par la mise en place de comités de pilotage réunissant régulièrement l'ensemble des financeurs des politiques de soutien à l'innovation.

L'évaluation de l'efficacité des structures d'accompagnement et les décisions de financement les concernant y seraient validées en fonction d’objectifs mesurables et partagés.

La refonte de la gouvernance de l'innovation a pu se faire assez aisément au niveau national et a permis de faire émerger des initiatives pertinentes comme la French Tech par exemple.

Il faut aller au bout de cette logique vertueuse et inclure les politiques régionales dans cette coordination.

 

Évaluation, meilleure coordination de tous les financeurs, choix stratégiques, identification de secteurs porteurs de croissance sont autant d'action qui devront être menées dès le premier trimestre 2016. Pour certaines régions comme celle du Grand Est, cette politique est déjà menée car pour nos entreprises le temps presse et leur avenir dépend aussi de la capacité des acteurs publics à créer un environnement favorable à l'innovation.