Allégeons les charges ! par Gérard Menuel

Gérard Menuel, Président de la commission Économie/Emploi du conseil communautaire du Grand-Troyes a rejoint il y a moins d’un an les bancs de l’Assemblée nationale, suite à la démission de François Baroin.

Chef d’une exploitation agricole, il a occupé le siège de président de la FDSEA et celui de la Chambre d’Agriculture de l’Aube sur plusieurs mandats.

Gérard Menuel revient sur les difficultés du secteur agroalimentaire Français qui a fait récemment descendre les agriculteurs dans la rue. Quelles sont les raisons de la chute de la filière et a-t-elle encore un avenir ?

Analyse et propositions d’un parlementaire qui connaît le terrain agricole.

Où en est le secteur agroalimentaire Français dans un marché en forte évolution ?

 

En un demi-siècle, ce secteur composé de nombreuses filières a connu en France un développement considérable.

Au début des années 60 dans notre pays, l’autarcie était sur le plan alimentaire la règle et l’exportation l’exception.

Des lois fondatrices sur le plan agricole à l’image de celles de 60-62, l’accompagnement par l’Europe avec la mise en place de la Politique Agricole Commune, un territoire rural important et riche de ses diversités, des hommes et des femmes formés et innovants ont fait en quelques années de la France le 1er pays producteur européen et le 2ème exportateur mondial en IAA (Industrie Agroalimentaire).

Mais, depuis quelques années, la concurrence sur les marchés est plus rude et les conditions de production ont changé. L’Allemagne avec sa main d’œuvre dont on connaît le coût est devenue 1ère productrice Européenne et la France avec 50 milliards de vente à l’International se place désormais au 4ème rang des exportateurs.

Cependant, ce secteur demeure important et représente 20% de l’ensemble de l’industrie manufacturée (y compris le secteur de la boulangerie, de la charcuterie et de la pâtisserie) pour un chiffre d’affaires global de 178 milliards d’euros.

Certes c’est important, mais, régulièrement depuis 2 décennies, la part de l’agroalimentaire dans le PIB baisse.

 

Quelles sont les causes de cette évolution et de cette perte de compétitivité ?

 

Elles sont multiples et difficilement quantifiables en valeur. C’est le cas par exemple des réglementations contraignantes de l’Union Européenne avec la surinterprétation par l’Administration française de ces règles.

D’autres considérants ont freiné la dynamique que l’on a pu connaître durant les 30 glorieuses.

L’IAA, de la production au produit fini, a des besoins en main-d’œuvre importants et supérieurs aux autres filières industrielles.

L’impact des charges sociales en France « les plus élevées des états de l’OCDE » altère la compétitivité des entreprises de toute la chaîne.

Pendant des années, gouvernements et partenaires sociaux, par facilité et par mauvais jugement,ont minimisé les effets liés aux cotisations salariales payées par les employeurs de ce secteur et par les producteurs agricoles.

L’actualité de l’été dernier a été ponctuée par la médiatisation des difficultés du secteur agricole et plus particulièrement celles de l’élevage. Cette crise, loin d’être conjoncturelle, a trop souvent été présentée comme liée à des rapports inégalitaires et défaillants entre Goliath et David, entre les transformateurs, les chaînes de distribution et les producteurs. C’est vrai mais, ce rapport de force est trop souvent surestimé ! Ce n’est pas par une déclaration du Président de la République demandant aux responsables des chaines de supermarchés d’augmenter les prix que les ennuis disparaitront. D’ailleurs, les agriculteurs sont restés perplexes.

 

En fait, le principal handicap de cette chaîne alimentaire est bel et bien le niveau des charges qu’elle supporte de toutes sortes, y compris celles liées au capital et sans égal dans l’Union Européenne.

Les pouvoirs publics ont répondu partiellement en mettant en place un plan d’allègement de ces charges avec le pacte de responsabilité… il est incompréhensible que les éleveurs aient été exclus du dispositif ! Rendez-vous compte ! Aujourd’hui une seule cigarette vaut plus cher qu’un litre de lait à la production !

Le retour à la dynamique d’hier pour tout ce secteur passera indiscutablement par un allègement massif des charges sociales.

La voie à prendre avec les nécessaires maîtrises des coûts du secteur public avait été votée en 2011 mais jamais appliquée. Je parle de la mise en place de la TVA sociale ou anti-délocalisation afin de financer les régimes de retraite, le secteur de la santé ou encore l’assurance chômage.

C’est aussi reporter pour une part significative ces charges anti-compétitivité sur une base plus large et en grande partie sur de la production manufacturée importée.

Cette mesure n’est pas la seule et en appelle d’autres comme des efforts plus importants en matière de recherche ou encore l’application de règles anti-dumping au niveau de l’Union Européenne… le secteur agricole et alimentaire, le plus riche au monde de par sa qualité et sa diversité, peut ainsi retrouver sa dynamique à l’exportation !

 

Ce secteur est-il suffisamment structuré à l’export face à la concurrence Américaine ou face à des groupes comme Nestlé ?

 

L’exposition universelle de Milan a montré l’importance, la diversité et la complexité des filières de l’IAA dans le monde.

Cette industrie dans notre pays est puissante avec un chiffre d’affaires près de 2 fois supérieur à celui de l’automobile et 3 fois supérieur à celui de l’industrie pharmaceutique.

Les opérateurs, en particulier dans l’élaboration et la transformation des produits, se sont souvent spécialisés par métier en lien direct et naturel avec la richesse produite dans nos plaines, vallées et montagnes. C’est le cas en céréales, en malt, en farine, dans les produits laitiers et de la viande, celui des vins et spiritueux ou encore dans les fruits et légumes.

A partir de bases nationales fortes et bien établies, certaines entreprises ont réussi le pari à l’international en exportant mais aussi en prenant des parts de marché industriel sur tous les continents de la planète.

Certes, aucune d’entre elles ne rivalise avec le très polyvalent Nestlé,  numéro 1 mondial, avec 100 milliards de chiffre d’affaires.

Mais dans le secteur laitier, dans celui des boissons ou encore celui des végétaux, nous retrouvons des groupes Français bien structurés et avec un rayonnement mondial.

Danone (20 milliards de chiffre d’affaires), Lactalis (15 milliards), Pernod Ricard (8,5 milliards), Toreos et Soufflet (5 milliards) sont autant de groupes qui s’imposent à l’international en prenant chaque année de nouvelles positions.

Danone est à ce jour leader mondial de produits laitiers frais, Lactalis détient le même rang en produits laitiers et fromages, Pernod Ricard se situe juste derrière Diago dans les vins et spiritueux, Toreos est le 4ème producteur de sucre au monde et le 1er producteur d’éthanol en Europe … 1 bière sur 5 consommée au monde est élaborée à partir du malt de chez Soufflet et de Malt-Europe.

Oui, notre pays ne peut être que fier de l’évolution de ses groupes, de tout son réseau de PME si novateur comme il peut être fier de ses producteurs agricoles.

Et comme tout acquis, les évolutions positives dans la durée ne se feront qu’avec attention et soutien. « Libérer les énergies », cette expression souvent reprise en économie, doit être celle des IAA et de la production agricole.

Trop de contraintes, trop de charges, trop de taxes, trop d’administration pénalisent toute la chaîne de l’industrie agroalimentaire.

Dans une compétition mondiale sur le plan économique et à la veille d’accords transatlantiques dont on imagine la possible teneur, il est indispensable que cette richesse nationale trouve dans notre pays échos, soutiens et considération, faute de quoi, très vite, ce sera le repli sur soi avec un retour en arrière de 50 ans !