Avoir confiance dans les entreprises par Olivier Carré

En l’espace de deux ans, j’ai participé à l’élaboration de trois rapports sur la compétitivité de notre économie. Tout est sur la table. Les diagnostics sont tous concordants et partagés. Et pourtant, on ne cesse d’empiler les dispositifs contraignants en accroissant l’emprise du monde politique sur le fonctionnement interne des entreprises. Le CICE, la BPI, sont autant d’illustrations de ce mauvais ressort qui n’est pas nouveau : moraliser la vie économique quand on ne sait plus quel sens donner à la Nation.

Il manque à toutes ces prises de décision un a priori simple mais cardinal : « Avoir confiance dans les entreprises ». Voilà le leitmotiv de la véritable révolution dont la France a besoin aujourd’hui. Confiance dans la capacité qu’ont les entreprises à s’adapter à un environnement de plus en plus complexe et qui regorge d’opportunités ; confiance dans la nécessité pour une entreprise de chercher les meilleurs collaborateurs quitte à assurer leur formation ; confiance dans leur compréhension du monde de demain parce que c’est en construisant ce qui n’existe pas encore qu’elles développent leur croissance.

Nous sommes loin des ressorts des grandes politiques dites de la demande, où la dépense budgétaire de l’Etat était le carburant de la croissance. 30 ans de déficits publics se sont accumulés dans une dette dont le poids se fera lourdement sentir dès que les taux d’intérêts retrouveront un niveau normal. Ces politiques publiques, toujours en œuvre en France, ont montré leur limite dans le contexte de croissance mondiale que nous connaissons. Leur coût a été sous-estimé. Il se traduit notamment par la destruction régulière de nos capacités productives. Ainsi, en vingt ans, la croissance « standard » de la France est passée de près de 4% à 0,5%. Elle est aujourd’hui inférieure à notre croissance démographique ce qui signifie qu’elle n’assure plus l’amélioration de la vie de nos classes moyennes. On est au bout d’un système, qui a fait ses preuves mais qui est obsolète.

En tant qu’ancien chef d’entreprise, je ne peux ni me satisfaire du résultat ni me complaire dans la critique. Seuls compte le plan, la vision et l’actionqu’il faut mettre en place pour redonner une place à la croissance. On peut discerner trois leviers d’action : une réforme de fonds de notre système social, la restauration des marges des entreprises françaises et une meilleure appréhension des avantages que l’on peut tirer dela zone euro.

Le premier sujet est d’ampleur : près de 600 Milliards d’Euros et l’essentiel des dérives des comptes publics de ces dernières années. Si nous avions la certitude d’avoir un système qui marche et qui soit partagé par tous, cela vaudrait le coup. Mais ce n’est pas le cas. Prenons les retraites. Le mode de calcul inquiète les jeunes générations qui se disent qu’elles payent pour un droit dont elles ne bénéficieront pas. Il en est de même pour la santé, dont l’universalité est mise à mal par un nombre grandissant d’exceptions. Et ne parlons pas de la formation professionnelle ou du logement. Notre système n’est plus soutenable. Est-il trop généreux ? Non. Est-il mal organisé ? Oui. Il faut recentrer sur chacun ce qui a été conçu pour tous. On ne répond plus à l’heure d’internet de la même façon qu’on le faisait lorsque l’information était rare et d’accès difficile. Aujourd’hui, chacun veut pouvoir maîtriser son destin. Cela donne aux grands acteurs que sont les partenaires sociaux et l’Etat, une obligation de moyens qui ne se résume pas aux seuls équilibres comptables. Cela passe par la définition de nouveaux périmètres entre ce qui relève de la volonté collective –paritarisme- et de la couverture de droits universels dont la « portabilité » est garantie-Etat-.

A ce stade, tout ce qui relève de la solidarité nationale doit être financé par l’Etat. Cela amènera à relever la fiscalité des personnes tout en soulageant les prélèvements réalisés au sein de l’entreprise. La France taxe moins la consommation et plus la production qu’ailleurs en Europe. Il faut inverser cette situation. La piste de la TVA anti-délocalisation est la bonne. Dans le même sens, l’entreprise n’a plus à être le collecteur zélé des contributions. Nos administrations et les grands collecteurs, aidés par la @-administration, doivent pouvoir répartir entre les caisses intéressées les charges collectées forfaitairement auprès des entreprises. Une régularisation annuelle serait suffisante. Toujours pour avancer vers plus d’efficacité, il faut approfondir l’idée de l’abandon de la TVA inter-entreprises. Cela soulagerait les bas de bilan tout en restant neutre pour l’Etat.

Enfin, nous devons changer notre façon de travailler au niveau européen. Trop souvent, la France se veut plus contraignante sur le plan des normes que ce qu’a voulu imposer Bruxelles. Nous sommes trop souvent absent des commissions préparatoires où s’élaborent normes et autres règlements qui vont régenter la production et le commerce intra-européen. L’Europe reste pour nous une affaire « étrangère » alors que l’Euro est notre monnaie. C’est un non-sens. Dans de nombreux domaines, le vrai travail se fait à Bruxelles, plus à Paris. Ainsi, toute directive devrait être transposée « à maxima » dans notre droit : la loi française ne pourra pas être plus contraignante que la règle européenne. Cette doctrine permettrait à nos entreprises d’œuvrer dans un champ concurrentiel loyal et uniformisé. Nous nous habituerions ainsi à mieux travailler à l’échelle communautaire qui représente notre principale zone d’influence économique. Enfin, nous devons harmoniser les assiettes fiscales qui servent à calculer l’impôt sur les sociétés afin d’éviter l’optimisation qui diverge trop de ressources de notre pays alors même que la création de valeur se fait sur notre sol.

Plus de responsabilité, plus d’air et plus d’Europe me semblent être les ingrédients d’une véritable révolution entrepreneuriale pour notre pays. C’est l’un des deux piliers de la restauration de notre avenir, le second étant de revoir l’ensemble de nos dépenses publiques et de les ramener à ce qu’elles pesaient en 2000. Tout se tient. Les opportunités sont là. Par exemple, la croissance investit le continent africain. Nous y avons des affinités non seulement liées à notre passé mais aussi au présent d’une jeunesse française qui y entretient une partie de ses racines. Là encore, c’est un atout que nous devons saisir pour la décennie qui vient. Enfin, tous les secteurs qui ont émergé à l’occasion du Programme des Investissements d’Avenir sont parmi les plus prometteurs du siècle. La France dispose de champions en herbe qui ne demandent qu’à bénéficier d’un climat qui ailleurs a promu des Huawei, Google ou autre Genzyme. Nous sommes à un tournant. A nous de tordre le cou aux idées reçues, de penser aux jeunes générations qui rêvent de réussir en Europe et d’avoir l’esprit d’entreprise dans notre volonté de redresser la France.