L'apprentissage, une aventure humaine, une voie d'excellence vers l'insertion professionnelle par Laure de la Raudière

Visite des ateliers d'Hermès et de Puyforcat avec GEEA - 3 avril 2013 

L’apprentissage est un sujet phare pour les élus car il touche beaucoup de sujets de société de premier plan : l ’emploi et l’éducation bien sûr, mais aussi la formation professionnelle et la fiscalité.

Deux conceptions socio-économiques, voire politiques, de l’apprentissage s’affrontent : d’un côté ceux qui considèrent qu’il est un outil de politique sociale pouvant amener les jeunes à l’emploi, une seconde (et moindre ?) voie pour les élèves qui ne réussissent pas dans un système éducatif classique. De l’autre, ceux qui y voient un outil alternatif et complémentaire de formation, ancré dans la réalité économique et formant des personnes qualifiées (comme c’est le cas en Allemagne)… Personnellement, je me situe très clairement du côté des seconds, considérant que l’apprentissage est une chance et qu’il répond parfaitement aux besoins opérationnels des entreprises.

Les préjugés sont tenaces et l’apprentissage ne parvient pas à séduire… Il n’est toujours pas présenté comme une orientation possible en fin de 3ème ou après la Terminale : seuls 600 000 jeunes y ont accès en France (5% de la classe d’âge) alors qu’en Allemagne ils sont 1,6 million d’apprentis (55% de la classe d’âge).

La majorité actuelle espère une croissance des effectifs en 2017 (+10%). Or, force est de constater que malgré les objectifs affichés, les mesures mises en place depuis un an, sont autant de mauvais signaux envoyés aux entreprises et aux jeunes. Selon les services statistiques du ministère du Travail, les signatures de contrats d'apprentissage au premier semestre 2013 chutent brutalement de 23 % par rapport à 2012…

Lorsqu’en mai 2013, le Sénat supprime la possibilité d’entrer en apprentissage à 14 ans, c’est évidemment un mauvais signal. Concrètement, les jeunes ayant réussi un parcours sans faute jusqu’en troisième (et nés un mois d’automne) ne pourront choisir la voie de l’apprentissage à la fin du collège. En langage décrypté, cela signifie que pour la gauche, l’apprentissage n’est réservé qu’aux élèves ayant déjà au moins une année de retard et se trouvant sans doute en échec scolaire !

Plus récemment, le 16 juillet, le Gouvernement envoie un nouveau message négatif en supprimant l’indemnité de formation versée aux employeurs d’apprentis. Face à la levée de boucliers qu’a suscitée cette annonce, le ministre délégué au Budget, Bernard Cazeneuve a effectué un rétropédalage pour garantir aux très petites entreprises, de moins de 10 salariés, qu’elles bénéficieraient d'un nouveau dispositif pour l'apprentissage. Lequel ? Tout le monde l’ignore ; mais nous avons là encore une fois la démonstration d’une méconnaissance totale du fonctionnement des entreprises, qui ont déjà recruté leurs apprentis pour début septembre et voient ainsi les règles changer brutalement.

Et que penser de ce rapport sénatorial[1] de mars 2013 dans lequel le rapporteur François Patriat préconise une réforme de l’attribution de la taxe d’apprentissage qui permettrait aux régions (toutes dirigées par la gauche sauf l’Alsace) de récupérer une manne de deux milliards d’euros !

L’apprentissage mérite mieux que cela ! Il est une chance formidable d’offrir aux jeunes Français la possibilité d’apprendre un métier, de trouver un emploi, de monter leur entreprise, de recruter. Et surtout, de promouvoir notre savoir-faire et notre culture à travers le monde.

Que ce soit dans l’artisanat ou dans d’autres secteurs d’activités, nos entreprises jouissent d’une excellente réputation et l’accès à l’emploi par le biais de l’apprentissage est un enjeu économique et culturel extrêmement important.
Une des questions centrales est l’avenir d’un modèle, sans doute trop centré sur les CFA. Afin de répondre aux besoins des entreprises, ne serait-il pas plus judicieux de leur permettre, sans qu’une tutelle étatique n’intervienne, de créer leur propre centre d’apprentissage, susceptible de répondre au mieux à leurs besoins et spécificités ?
Parallèlement, une réforme du financement de l’apprentissage s’impose. De nombreux acteurs sont impliqués : les entreprises bien sûr avec l’apport de la taxe d’apprentissage pour près de 2 milliards d’Euros en 2011, les aides de l’Etat pour 1,64 milliards d’euros en subventions et dépenses sociales et 1,8 milliards d’euros par les régions : soit environ 9000 euros par apprenti. Le fait de diluer cet argent entre différents opérateurs entraîne inévitablement des pertes. Aussi, assurer davantage de transparence dans le fléchage de l’attribution et de la redistribution de ces sommes est essentiel. Et prévoir plus de flexibilité en permettant aux entreprises de consacrer la majeure partie des taxes versées aux CFA de leur choix serait certainement plus productif.
Enfin, il est essentiel de renforcer la mobilité de nos apprentis à travers l’Europe. Développer ses compétences en s’enrichissant des expériences étrangères ne doit pas être le seul privilège des étudiants des filières dites classiques ou académiques. Des dispositions existent déjà pour faciliter l’accès à des stages à étranger durant 2 à 4 semaines pendant la période d’apprentissage, ou durant 6 mois à l’issue de la formation. Elles doivent impérativement être renforcées.
Mais n’oublions pas que l’apprentissage, c’est avant tout un compagnonnage, des rencontres et la formation à un métier de façon professionnelle. Lors d’une visite des ateliers Puyforcat avec un groupe de Génération Entreprises-Entrepreneurs associés, nous avons tous été touchés par le témoignage d’Eric Poupineau, dernier planeur de feuille d'argent de France. Après un CAP chaudronnerie, Eric a appris durant quinze années le métier de planeur avec son maître d’apprentissage au sein de l’entreprise Puyforcat. C’est à lui que revient la tâche de former les pièces d’orfèvrerie, en y donnant des milliers de coups de marteaux dont chaque son est pour lui un indice précieux de la qualité de son travail. Or, il est aujourd’hui seul au monde à savoir réaliser une telle tâche. Le jour où il disparaîtra, son savoir-faire risque de s’éteindre. Même si son travail est particulièrement éprouvant physiquement, c’est avec beaucoup d’enthousiasme qu’Eric nous a parlé de son métier. De sa joie lorsqu’il remettait à son propriétaire une commande sur laquelle il avait travaillé durant des mois, de son bonheur d’avoir pu reproduire à l’identique les pièces de maître-orfèvres dans une tradition séculaire. De chaudronnier, il est devenu artiste, à force de travail, de persévérance et d’accompagnement par ses pairs.
L’apprentissage est surtout une aventure humaine, une rencontre entre des femmes et des hommes réunis par un métier. Il est une voie d’excellence de l’insertion professionnelle. Souhaitons qu’il puisse trouver à nouveau dans notre société toutes ses lettres de noblesse : ce sera un atout pour notre jeunesse et pour notre pays !