La Loi Macron, un trompe-l'oeil déconnecté des besoins de notre pays par Jean-Frédéric Poisson

Jean-Frédéric Poisson, chef d’entreprise de profession, député des Yvelines, Vice-Président de la commission des lois, a été l’orateur du groupe UMP sur le projet de loi Macron, pendant plus de 200 heures de débat en commission et dans l’hémicycle. Alors que le gouvernement présente ce texte comme la grande réforme économique du quinquennat pour la croissance, Jean-Frédéric Poisson y voit une illusion de réforme, un texte qui n’est pas ce qu’il prétend être et fait entrer la France dansune vague de marchandisation qui ne correspond pas à sa tradition, ni à ses besoins.

Que vous inspire globalement ce texte ?

C’est d’abord un texte fourre-tout de 295 articles dont personne ne peut comprendre le sens.

C’est ensuite un trompe l’œil. Ce texte  ne contient en effet aucune des réformes d’envergure dont notre pays a besoin et il ne créera pas de croissance !

C’est enfin un texte qui déstabilise inutilement notre société en faisant entrer dans une logique de marché des services que la tradition française a préféré réglementé non sans succès.

 

Quelles sont les principales difficultés que posent ce texte ?

J’en vois quatre.

La première difficulté tient davantage à ce que ce projet de loi ne contient pas qu’à ce qu’il contient. Ce texte est en effet très éloigné des réformes indispensables au redémarrage économique de notre pays. Ces réformes sont connues : allégement des charges des entreprises, réforme du financement de la protection sociale, assouplissement des normes inutiles qui pèsent sur les entreprises et les collectivités locales, et réformes de structure de la puissance publique.

La deuxième difficulté est qu’il rompt avec la tradition de notre droit pour installer en lieu et place une conception très anglo-saxonne des activités à caractère libéral. À terme, les différentes dispositions du texte visant les professions réglementées mais aussi la perspective de réformes plus générales concernant les sociétés d’exercice libéral auront plusieurs effets que nous considérons comme extrêmement néfastes pour notre société. Ainsi l’ouverture programmée du capital de l’ensemble des sociétés libérales à tous les types d’investisseurs européens, soit la possibilité pour n’importe qui, ou presque, de prendre des parts dans des sociétés aujourd’hui protégées, affaiblira indubitablement la sécurité juridique et l’accès à des services dont bénéficient aujourd’hui les Français.

On peut raisonnablement penser que la porte ainsi ouverte par cette loi aura pour effet de faire prévaloir, à la fin du compte, la logique dominante du contrat privé entre les parties sur l’articulation actuelle qui fait de la puissance publique, directement ou indirectement, un garant de ces contrats. Et si l’on observe par exemple le nombre très important ainsi que la complexité, la durée et le coût des contentieux liés aux cessions immobilières dans certains pays anglo-saxons, on ne voit pas comment les citoyens français pourraient tirer avantage de ces dispositions. On voit en revanche très bien comment les investisseurs, eux, pourront en tirer un avantage certain ! À ce sujet, il serait naïf de croire que les professions réglementées s’opposent à la réforme uniquement pour faire prévaloir leurs intérêts. Élu local, je constate chaque jour le sens du service dont ces professions sont animées afin de proposer aux Français des prestations et des conseils de qualité.

La troisième difficulté que présente le projet de loi, liée à la précédente, est qu’il soumet aux lois du marché des pans entiers de notre activité économique, en particulier ceux qui sont aujourd’hui protégés par une réglementation. À cet égard, le renforcement des prérogatives de l’Autorité de la concurrence est emblématique de l’entrée dans une logique de marché de services que la tradition française a préféré réglementer depuis parfois des siècles, non sans succès. Il laisse croire que l’on peut considérer sans conséquences particulières un acte notarié, un exploit d’huissier et demain sans doute la vente de médicaments comme des marchandises semblables à toutes les autres, ce qui n’est évidemment pas le cas en raison des impératifs de sécurité juridique et sanitaire inhérents à la vente de ces prestations et produits !

La quatrième difficulté, enfin, réside dans les déséquilibres que connaîtront nos territoires et dont ils n’ont clairement pas besoin. Tout d’abord, l’implantation des professions du droit connaîtra sans doute un phénomène de concentration tant capitalistique que géographique qui ne sera pas compensé par la dématérialisation des échanges et des actes.

Ensuite, les dispositions relatives au travail dominical ménageant la possibilité d’ouvrir douze dimanches par an affaibliront considérablement de nombreux commerces de centre-ville dans les villes moyennes et les bourgs au profit des zones d’activités et des centres commerciaux. Elles ne règlent en outre aucune des difficultés sociales soulevées lors de l’examen de la loi du 10 août 2009 sur le travail dominical.

Pensez-vous que ce texte rendra la France plus forte dans la mondialisation ?

Ce texte aurait dû être l’occasion de traiter des questions essentielles sur la prospérité de la France dans le contexte mondial. Par exemple,  quels sont les biens et les services que la mondialisation de l’économie nous amènera à traiter autrement à l’avenir ? Pourquoi devrions-nous les traiter autrement ? Comment le renforcement des logiques de territoire, en particulier par le maintien des services à caractère public, peut-il fortifier la France dans les bagarres internationales qu’elle doit mener ? Comment articuler les réformes territoriales déraisonnables et incessantes de l’actuel gouvernement avec la nécessité de rendre les collectivités plus fortes et plus libres de leurs choix ?

A la place de ce débat de fond, nous avons eu droit à un toilettage de quelques textes mal travaillés, mal écrits ou qu’on a omis de réformer. Et surtout, la réponse qu’Emmanuel Macron a apporté à toutes ces questions est malheureusement univoque : engager la déréglementation partout où cela est possible, parfois même au détriment de notre exception française qui en définitive fonctionne et donc de la qualité de service et de la sécurité que nos concitoyens sont en droit d’attendre de la puissance publique, en particulier des professions judiciaires. Le tout, faut-il le rappeler dans le contexte d’un futur pacte transatlantique en cours de négociation, qui loin de renforcer la France et l’Europe dans le concert mondial les affaibliront en faveur des Nord-Américains.

Que pensez-vous du recours au 49.3 pour faire passer ce texte ?

C’est un aveu d’échec du gouvernement. Ce texte n’a pas réussi à convaincre les Français. On ne peut pas en effet faire croire aux Français qu’il y aura moins de chômeurs parce que des cars rouleront à la place de trains qui ne rouleront plus, parce que les postiers feront passer le permis de conduire à la parce des inspecteurs ou encore parce que les Allemands achèteront notre industrie de l’armement !

C'est un aveu de faiblesse du Premier ministre, impuissant à traiter la gauche dans son ensemble sur le plan idéologique, impuissant à traiter les fractures internes du PS qui sont apparues de manière criante en particulier sur le volet social de la loi Macron, et impuissant à engager les réformes de structure que les Français attendent.

Quel peut-être l’avenir de ce texte ?

J’ai rencontré Bruno Retailleau, Président du groupe UMP au Sénat, pour travailler de concert sur ce sujet. L’UMP et le centre, qui sont majoritaires au Sénat, ont bien l’intention de transformer ce texte qui n'est qu'un coup de communication d'Emmanuel Macron en un véritable coup de fouet pour la croissance, en libérant cette dernière de tout ce qui l'asphyxie. En proposant notamment un meilleur accès au marché du travail par le renforcement de l'apprentissage, la fin des 35 heures obligatoires remplacées par des négociations dans les entreprises, le relèvement des seuils sociaux, la création d’un statut d’entrepreneur sur de long terme.

Le Sénat reviendra également sur l’amendement controversé qui autorise dans les départements d'outre-mer que certains jours fériés inspirés de fêtes chrétiennes soient remplacés par des «jours fériés locaux» plus adaptés « aux contextes culturels et historiques particuliers en outre-mer ». Une fois de plus, la gauche alimente le communautarisme tout enfragilisant  la société en banalisant le travail dominical.                                        

Avec cette inflexion réellement réformatrice apportée par le Sénat, la conciliation entre l’Assemblée et le Sénat ne pourra qu’échouer ; les frondeurs n’auront aucune raison de se calmer et le Gouvernement devra recourir une nouvelle fois au 49.3.