L'ère du numérique : les entreprises sont-elles prêtes? par Bernard Gérard

Bernard GERARD, Député du Nord, maire de Marcq-en-Barœul et Président du groupe d’études Textile et Industrie de main-d’œuvre à l’Assemblée nationale voit dans la révolution numérique une formidable opportunité de régénérer l’économie française. Il est conscient des défis et des enjeux qu’impliquent ces changements de modèles économiques et expose sa vision du rôle des pouvoirs publics dans un tel contexte.

Le numérique bouleverse notre économie. Quels changements majeurs retiennent particulièrement votre attention ?

Les progrès technologiques en matière de numérique ont durablement modifié nos modes de consommation, nos façons d’interagir et nos perspectives d’innovation. Certains secteurs économiques sont davantage impactés par cette révolution que d'autres.

De manière générale, une concurrence nouvelle fait son apparition avec la vente à distance. Le modèle de l’économie circulaire et collaborative s’impose dans des domaines toujours nombreux et plus variés. Les particuliers, tantôt consommateurs tantôt « distributeurs » de biens et/ou services, échangent et commercent avec pour seuls intermédiaires des sites Web qui les mettent en relation. Le secteur de l’hôtellerie en est un parfait exemple, avec la multiplication de plateformes en ligne qui proposent la location temporaire ou saisonnière de logements privés. Le secteur de l'habillement est fortement impacté lui-aussi, au même titre que les taxis, les magasins de bricolage, … la liste est longue. Le modèle économique des entreprises de ces secteurs est bousculé et de nouveaux champions font leur apparition.

Dans un autre ordre d’idées, les entreprises doivent également s’adapter aux changements apportés par le numérique comme les nouveaux modes de relation client ou encore la dématérialisation. J'ai travaillé pendant plusieurs mois sur les relations entre les URSSAF et les entreprises dans le cadre d’une mission parlementaire, avec mon collègue Marc Goua. Je sais combien la dématérialisation informatique est un défi primordial pour les chefs d'entreprise qui souhaitent simplifier leurs démarches administratives, dans un souci de sécurité juridique et d'efficacité. Un patron de TPE ou de PME n'a pas choisi la voie de l'entrepreneuriat pour passer son temps à gérer les dossiers administratifs. Le numérique peut et doit être un outil de simplification des démarches et de gain de temps.

Enfin, en se tournant vers l’avenir et en notant les immenses progrès technologiques déjà accomplis, il est indéniable que le numérique va de pair avec opportunités, innovation et nouveaux marchés d’excellence.

Puisque vous abordez cette question, quels sont, selon vous, les nouveaux marchés les plus porteurs pour la France à l’ère du numérique ?

Ils sont multiples, et le numérique n’est souvent pas une fin en soi. Il permet de plus en plus d'adapter des produits du quotidien pour les rendre plus performants, moins polluants, plus intelligents. Tous les secteurs d’activité vont être revisités à l’aune de cette révolution extraordinaire et porteuse de nouvelles richesses. Le numérique représente notamment le secteur de l’avenir de la médecine qui sera de plus en plus numérique et connectée. Il nous fera traiter autrement le problème de la dépendance et du vieillissement. Des entreprises aussi importantes qu’ENGIE y réfléchissent.

L’industrie du textile est elle-aussi hautement concernée. Président du groupe d'études Textile et Industrie de main d’œuvre à l'Assemblée nationale, j'observe et j'écoute avec bienveillance les industriels du textile français qui s’engagent dans le tournant numérique. Aujourd’hui le textile français, qui ne se limite plus aux simples « vêtements », devient connecté et intelligent. L'industrie textile en France, et particulièrement dans le Nord, doit compenser un coût de main d’œuvre non concurrentiel par l'innovation technologique. Dans ma circonscription, à Tourcoing, le Centre européen des textiles innovants (CETI) a été inauguré en 2012 et constitue une formidable plate-forme technologique dédiée à la recherche et au développement des textiles du futur. La production standardisée n'est plus la norme. La demande de produits personnalisés à la pointe de la technologie est croissante. Je pense que cette mutation du secteur textile peut s'appliquer à bien d'autres domaines économiques d'importance pour la France.

Je conclurais en signalant que le CETI, exemple de réussite qui a été cofinancé à la fois par l’Europe, l’État, la région Nord-Pas de Calais, le département du Nord et la métropole de Lille, illustre bien le fait que les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer à tous les niveaux pour soutenir l’innovation.

Parlons de la question de l’intervention des pouvoirs publics justement. Quel est votre rôle, en tant que législateur, pour réglementer ces nouveaux marchés ?

Un phénomène d'« uberisation » de la société est apparu avec les pratiques d'économie collaborative que j'évoquais plus tôt. Ce néologisme composé à partir du nom de la société américaine Uber, dont on a beaucoup entendu parler dans les médias au début de l'été, décrit assez bien un nouveau modèle de commerce consistant à mettre des ressources à disposition des clients depuis leurs smartphones, à tout moment et sans délai. C’est une révolution qui pose une question simple : qui bénéficie de la marge commerciale ? Celui qui produit ou bien celui qui vend en ligne ? Est-ce la plateforme qui sert d’intermédiaire ?

D’autre part, on comprend bien qu’il était possible de réglementer et d'encadrer juridiquement des entreprises déclarées, mais lorsqu’un particulier passe par Internet ou des applications mobiles, hors de contrôle de l'État, il devient difficile de faire respecter les règles commerciales usuelles. Une concurrence déloyale peut en découler, avec d'une part des entreprises qui remplissent leurs obligations fiscales et sociales, et d’autre part des particuliers qui échappent à toutes charges.

La question n'est pas de remettre en cause ce modèle économique d'un nouveau genre puisqu'il existe bel et bien et répond à une réelle demande. Néanmoins notre rôle, en tant que législateurs, doit être d’encadrer ces nouvelles activités dans un souci de cohérence économique et de climat social apaisé. Les coûts et les charges doivent pouvoir être répartis de façon équitable et soutenable.

Qu’attendez-vous du projet de loi sur le numérique, à venir ?

Pour commencer, je regrette qu'un sujet d'une telle importance économique et sociale pour la France ne constitue pas davantage une priorité dans l’agenda gouvernemental. Rappelons que le projet de loi sur le numérique est annoncé par le gouvernement depuis 2013, sans cesse reporté. On l'attend toujours. Même s'il semblerait qu'il soit en phase finale de préparation, au mieux, il sera déposé devant le Parlement à l’automne, après une consultation publique sur Internet sur l'avant-projet.

La secrétaire d'État Axelle Lemaire a expliqué que ce projet de loi allait traiter de l'open data, de la co-création numérique, des dépôts de brevet, de la protection des données personnelles, de la neutralité d'Internet, des jeux en ligne, de l'ouverture des données, etc. On le voit bien, le risque d'un tel texte c'est qu'il devienne fourre-tout. Ce projet de loi devrait être centré avant tout sur l'économie du numérique. J’attends de ce projet de loi une démarche volontariste en matière de soutien à l'innovation d’une part, avec des mesures incitatives, et de soutien aux écosystèmes de startups numériques d’autre part, en aidant la multiplication des fablabs par exemple.

Enfin, et surtout, il est nécessaire de sécuriser davantage les entrepreneurs et les chefs d’entreprises qui bénéficient de mesures dérogatoires. Trop souvent, ces mêmes dispositifs visant à aider les entreprises entraînent leurs contrôles et aboutissent à des redressements. C’est regrettable. En cause, l’insécurité juridique. Les entrepreneurs et les patrons de TPE-PME doivent pouvoir y voir plus clair dans la réglementation qui s’applique à eux. J’insiste sur l’importance de mieux communiquer sur les nouveaux dispositifs, et de sécuriser les chefs d’entreprises en expliquant de façon univoque comment s’appliquent les mesures incitatives qui aident à créer les emplois de demain.