L’Aveyron, une terre exemplaire par Yves Censi

Yves Censi, Député de l’Aveyron, membre de la commission des affaires sociales, secrétaire national Les Républicains à la santé mentale et la santé au travail, ancien vice-président de la commission des finances, ancien président du conseil national de l’insertion par l’activité économique.

Vous êtes élu d’une circonscription rurale, l’Aveyron, dont les résultats économiques sont plutôt bons au regard de la situation nationale. Vous évoquez un modèle aveyronnais. De quoi s’agit-il ?

En effet, même si l’Aveyron souffre de la faiblesse de la croissance française, nous sommes proches du plein emploi depuis trente ans, et le taux de création d’activités a toujours été de deux chiffres dans le bassin de Rodez. Ce n’est sûrement pas généralisable, de manière uniforme, à l’ensemble du pays, car les facteurs me semblent nombreux. Mais trois éléments me paraissent notables.

Le premier, c’est le respect de la diversité. Cela suppose de libérer la créativité des territoires. La notion de diversité a été phagocytée au plan national par la question des minorités visibles, mais la diversité oubliée, c’est celle des territoires, des activités, des expériences et des volontés locales.

L’Aveyron, par exemple, peut souffrir de certains handicaps, notamment l’enclavement. Pour autant, la réponse des PME et des TPE, dans l’artisanat, les services ou la transformation agroalimentaire, et même la culture, a été très puissante. Le veau d’Aveyron, l’aligot de l’Aubrac, le couteau de Laguiole, certaines niches technologiques très pointues, des entreprises touristiques comme Verdié ou Langues et Civilisations… toutes occupent une position nationale solide. Elles ont imposé leur singularité en pleines crises.

Rodez et l’Aveyron, précisément parce qu’ils ne se situent dans aucune aire urbaine d’envergure, ont été contraints au développement de leurs propres ressources : pôle de formation et d’enseignement supérieur performant, pôle culturel avec le musée Soulages, pôle économique avec un tissu d’artisans et de PME très dense et l’usine Bosch... Donc je crois beaucoup aux réponses adaptées à chaque problématique locale avec la volonté d’acquérir une dimension nationale voire internationale.

Or, nos politiques publiques souffrent des généralisations et des contraintes uniformes mais irréalistes. Le deuxième facteur clé de succès, c’est la culture du travail. Dans l’Aveyron, le travail n’est pas un gros mot. L’unité de production de Bosch, par exemple, avec un millier de salariés, considère la fiabilité et la qualité de la main d’œuvre aveyronnaise comme un avantage concurrentiel essentiel, malgré des coûts logistiques importants.

A l’heure où les gains de productivité reposent largement sur les capacités de management et sur les possibilités de négociation avec les instances représentatives du personnel, c’est un gage de durabilité et d’ancrage de l’activité plus efficace qu’on ne l’imagine.

Il y a ensuite une culture économique qui repose sur le capitalisme familial, très protecteur de nos centres de décision et très résistant à la financiarisation. En France, il n’est pas assez protégé. La RAGT, entreprise familiale de semences fleuron international, en est un bon exemple : elle est une chance pour notre pays et sa présence repose sur la volonté solide de ses actionnaires. Si, par exemple, les pactes d’actionnaires et les lois Dutreil ont été très bénéfiques, nous devons aller plus loin dans le soutien aux transmissions et au maintien de l’intégrité des patrimoines économiques. C’est une question d’efficacité, pour renforcer l’ancrage de nos industries sur le sol national. Malheureusement, la majorité socialiste y est très réticente. Idéologiquement et presque génétiquement, la gauche française est encore obnubilée par la lutte des classes et l’opposition capital/travail. Que le capitalisme soit encadré et assure une redistribution est une évidence, mais aujourd’hui, nous en sommes malheureusement au stade de l’exécution de la poule aux œufs d’or…

Le troisième facteur, c’est l’ancrage local et national. L’identité et l’attachement territoriaux sont des conditions indispensables à la construction d’une industrie de long terme. Un succès industriel et marketing est forcément assis sur une singularité, une culture qui assure une différenciation dans la concurrence des marques ou les relations clients, jusqu’aux choix de gouvernance industrielle. Or, la confiance et l’esprit d’équipe sont aussi un enjeu national. Tout entrepreneur français a fait le choix de privilégier son pays ou sa région plutôt que de partir à l’étranger, plus par attachement que pour des motifs financiers, chacun s’en doute. C’est une erreur de mépriser cet entrepreneuriat tout en criant : « Produisez français » comme une incantation sté- rile. En fait, on se rend compte que la plupart des ministres théorisent et donnent des leçons aux entrepreneurs sans avoir jamais été ni salariés ni dirigeants d’entreprises ! J’ai eu la chance de partager ma carrière entre l’entreprise et l’action publique, mais les deux mondes manquent de liens.

Comment réconcilier le travail et l’entreprenariat ?

La culture du travail est antinomique avec les 35 heures obligatoires conçues par les lois Aubry. Les expériences que j’évoquais montrent que sur le terrain, les négociations d’entreprises sont tout à fait possibles lorsqu’elles sont autorisées. Le temps de travail ne doit pas être le même pour toutes les organisations, tous les métiers, toutes les activités et tout le temps. Il y a de nombreux cas où les 35 heures sont défavorables aux intérêts des salariés.

C’est sur les modalités d’accords d’entreprises qu’il faut discuter, dans un objectif de compétitivité et d’adaptation, le droit social fixant les règles. Mais affirmer, comme un totem, que toute réduction légale du temps de travail est un progrès social est faux : à la longue, ça a aussi été un facteur d’appauvrissement des salariés et de privation de la liberté de travailler. Dire par ailleurs que les 35 heures nous ont pré- muni du chômage par le partage du temps de travail est d’une mauvaise foi caractérisée si l’on compare nos taux records de chômage avec ceux de nos proches voisins européens. Toutes les études montrent que plus de 80 % des actifs considèrent leur travail épanouissant. Le vrai progrès, ce n’est plus la réduction légale du temps de travail, c’est l’amélioration des conditions de travail, de la qualité de vie au travail et bien sûr la participation et l’intéressement. C’est aussi en finir avec l’incertitude juridique, par exemple avec la barémisation des indemnités prud’homales. 

L’enjeu de la France est maintenant d’avoir le courage de refonder le cadre légal des relations de travail en s’appuyant sur trois piliers. Le premier est l’affirmation des droits fondamentaux des salariés. Le deuxième est la prévention de la santé des salariés qui est un enjeu bien plus important que le temps légal, tant sur le plan financier que sur la question du bien être au travail. Le troisième est l’exigence de compétitivité qui implique un changement radical de la culture syndicale et de ses modalités de représentation, d’autant que la montée en puissance des IRP dans la conduite des entreprises fait peser sur ces derniers une responsabilité de plus en plus grande. 

Dans un pays qui détient le deuxième record mondial de prélèvements obligatoires, comment rétablir cette compétitivité et recréer de l’emploi ?

La pression fiscale de l’Etat est forte parce que les besoins budgétaires destinés à son fonctionnement sont trop élevés. Nous avons la première place mondiale en terme de dépenses per capita et deux fois plus de fonctionnaires par habitant que l’Allemagne, ce qui ne crée ni croissance ni emplois privés ! Nos agents publics sont mal rémunérés tout en paraissant privilégiés aux yeux de la population : il faut réengager la diminution de la masse salariale que nous avions initiée et réinvestir une partie sur le régalien et sur l’investissement. Par ailleurs, la décentralisation aurait du amener l’Etat à se réformer davantage, à dépenser mieux et moins : nous sommes encore au milieu du gué.

Nous devons aussi rompre le lien entre le coût du travail et les prélèvements sociaux, qui est un cercle vicieux dans un chômage de masse. Par principe, la gauche s’y refuse, mais les transferts sociaux représentent près de 700 milliards. Le financement de la protection sociale pèse trop sur les actifs et les entreprises au travers des charges : il faut avoir le courage de le transférer sur la consommation, donc sur la TVA. Il est impératif d’élargir l’assiette des cotisations. Si l’on diminue d’autant les charges salariales et patronales, l’incidence sur les prix sera minime. Dernier avantage : cela abaissera les coûts de production nationaux et permettra dans le même temps de « charger » les productions importées qui seront obligées d’intégrer les coûts sociaux dont elles se dispensent aujourd’hui.

C’est un moyen efficace pour aplanir les distorsions de concurrence tout en augmentant les salaires nets. C’est ainsi que les pays du nord ont sauvé leurs industries du bois et de l’ameublement. L’instabilité fiscale, en valeur et en procédures, est ensuite une plaie nationale. Réformons les impôts anti-économiques, dits « imbéciles ». On se souvient de la taxe professionnelle que nous avons supprimée, il en reste d’autres, tels que l’IS et l’ISF.

Surtout, fixons un niveau de prélèvement acceptable, mieux ciblé et inférieur à 50 % et engageons-nous sur la stabilité fiscale. Enfin, nous devons renouer avec le respect du risque entrepreneurial. En clair, rappelons que la valeur ajoutée, c’est la rémunération du risque. Un investisseur qui a beaucoup gagné est un investisseur qui a pris le risque de beaucoup perdre, c’est une règle financière incontournable. L’Etat socialiste a rendu le goût du risque honteux et dénigre toujours la rentabilité du capital investi. Nous devons les réhabiliter si nous voulons sauver les emplois français.