Agir pour désamorcer la bombe de la dépendance par Olivier Becht

Olivier Becht est né en 1976 à Strasbourg. Ancien élève de l'ENA (promotion Senghor), il a exercé des fonctions de magistrat administratif avant de s'investir dans des mandats locaux. Il a été Maire de la ville de Rixheim (2008-2017), Président délégué de l'agglomération de Mulhouse (2010-2017) et Vice- Président du département du Haut-Rhin (2015-2017). Il est aujourd'hui Député du Haut-Rhin et Député représentant la France à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. 

Olivier Becht, vous êtes Député du Haut-Rhin et membre de la Commission de la défense nationale et des forces armées. Pourtant, l’un de vos sujets de préoccupation majeure concerne la dépendance des seniors. Pourquoi ?

Comme l’Univers, les enjeux politiques ont également leurs « trous noirs » où nul res- ponsable n’ose vraiment s’aventurer de peur d’être englouti. Le plus grand « trou noir » de ce début de siècle est la question de la dépendance des seniors appartenant à la génération du Baby-Boom. C’est une bombe à retardement dont les effets seront à la fois financiers, sanitaires, humanitaires et économiques.

Quelques chiffres donnent la dimension du sujet. En 2017, le nombre de personnes âgées dépendantes était de 1,3 million. Ce chiffre aura vraisemblablement doublé dans les vingt prochaines années du fait de la pyramide démographique et de l’aug- mentation de l’espérance de vie. L’enjeu est simple : comment allons-nous faire face pour assurer à cette génération des conditions dignes dans le dernier âge de leur vie ?

Pourquoi les solutions actuelles ne suffiraient-elles pas à répondre aux besoins ?
C’est très simple : les EHPAD sont déjà saturés et au bord de l’explosion en ce qui concerne la capacité du personnel à traiter des cas de plus en plus lourds aujourd’hui, il est aisé d’imaginer la situation avec deux fois plus de seniors dépendants et une dépendance encore plus lourde du fait des pathologies apparaissant aux plus grands âges. Sur le terrain, la situation commence déjà à se dégrader. Face à la mutation des structures familiales, de plus en plus de personnes âgées dépendantes se retrouvent seules au domicile dans un état sanitaire parfois dramatique. Ces situations risquent demain de concerner des centaines de milliers de personnes. Si aucune mesure n’est prise rapidement, la France connaîtra alors une catastrophe humanitaire inégalée.

Alors que faudrait-il faire selon vous ?
D’abord sortir la tête du sable. Depuis plus de 10 ans, les Gouvernements successifs se contentent de commander des rapports et de faire voter des lois qui traitent les questions à la marge et renvoient à plus tard les décisions stratégiques. Si on veut éviter le scénario catastrophe, il est indispensable d’apporter des réponses à la fois organisationnelles et financières.

Sur un plan organisationnel, il est vain d’en- visager construire des milliers d’EHPAD supplémentaires. La seule solution sera le maintien, voire l’hospitalisation à domicile, c’est-à-dire toute une filière économique et sanitaire à créer. Certes, des dispositifs existent déjà : portage des repas, soins infirmiers, aides ménagères etc. Ils sont souvent assez performants mais ils ne sont pas tous adaptés aux pathologies qui vont se développer ni en lien avec les centres hospitaliers. Au-delà, il sera surtout impératif de définir des guichets uniques, capables de proposer une offre globale aux familles, et une autorité capable de gérer et de coor- donner le système au quotidien.

Sur un plan financier, là aussi, le défi est de taille puisqu’un tel système pourrait représenter une somme supplémentaire comprise entre 50 et 100 milliards d’euros par an à l’échéance de vingt ans, que personne ne sait aujourd’hui où trouver. L’idée d’une assurance par capitalisation ne marche pas puisque le temps est désormais trop court pour accumuler un capital suffisant.

La cinquième branche de sécurité sociale poserait, elle, la question des cotisations, essentiellement assises sur les salaires, et aurait donc un impact négatif sur le coût du travail. Une solution de type CSG parait également compliquée eu égard au poids déjà lourd des prélèvements obligatoires dans le PIB français. Ainsi, le seul financement réaliste semble s’opérer à dépenses publiques constantes. Cela nous impose donc de faire des choix de dépenses qui sont d’abord des choix de société.

La société française vous semble-t-elle mûre pour faire ces choix ?
Ce sera compliqué car ces choix peuvent entraîner une fracture intergénérationnelle dans la mesure où ils consisteront à demander aux générations actuelles de financer non seulement leur retraite mais aussi les retraites et la dépendance de leurs parents par réduction de certaines dépenses publiques destinées aux actifs. L’effort est considérable et peut porter le germe de la révolte d’une génération contre une autre.

Ces questions doivent donc être mises sur la table du débat public. Elles appellent la définition d’un véritable pacte intergénérationnel, reposant, notamment, sur l’aide que la génération du Baby-Boom, aujourd’hui valide et retraitée, peut apporter à la société.