L'Europe doit revoir le statut des travailleurs détachés et harmoniser les charges sociales

Le 29 mai 2018, le Parlementeuropéen a votéà une très large majorité avec 456 voix pour et 147 contre la révision de la directive de 1996 sur les travailleurs détachés. Désormais, la durée maximale de détachement est de 12 mois, prolongeable de six supplémentaires et le secteur du transport routier n’est pas concerné. D’ici mai 2020, les Etats membres doivent transposer cette directive. Cet accord consacre le principe dit « à travail égal, salaire égal ». Toutefois, cette révision de la directive européenne aurait dû être plus ambitieuse sur le dossier essentiel des charges sociales. Puissent les élections européennes de 2019 ne pas occulter ce débat essentiel pour nos entreprises, notre économie et l’emploi ! Elue dans un départe-ment frontalier (Alpes- Maritimes) avec la Principauté de Monaco et l'Italie, Laurence Trastour-Isnart connait bien la problématique des flux de population européenne.

L’accord européen vise à garan- tir une meilleure protection des travailleurs détachés et une concurrence loyale pour les entreprises. Comment se concrétise-t-il réellement ?

L’Europe a trouvé un compromis entre le Conseil européen et le Parlement sur le principe « à travail égal, salaire égal ». Cet accord renforce l’échange d’informations entre pays et améliore l’application des règles contre les différents mécanismes de fraude qui étaient nombreux et d’une pra- tique que l’on peut qualifier « d’organisée ». A cet égard, la nouvelle directive constitue une avancée qui a tout de même nécessité deux ans de négociations ! Il est regrettable que la France ait cédé face au bloc des pays de l’est de l’Europe notamment sur la durée du détachement et secteurs transports routiers. Il a été trop souvent constaté des recours abusifs au détachement en raison du coût d’une main d’œuvre moins cher. L’Europe n’a toujours pas clarifié le sujet des charges sociales !!! Alors que pour ma part ce paramètre est essentiel pour une véritable égalité et une non concurrence.

Quel est le nombre de travailleurs détachés en France, com- ment sont-ils contrôlés ?


L’afflux de travailleurs « détachés », c’est-à-dire de salariés étrangers envoyés par leur employeur dans un autre État membre de l’union européenne en vue d’y fournir un service à titre temporaire a fortement progressé ces derniers mois. Nous en dénombrions 96 000 en 2007, 516 000 dix ans plus tard.

L’an dernier, la progression a été particulièrement significative dans l’hexagone puisque nous avons enregistré avec une hausse de 46% en un an. C’est énorme ! Selon un rap- port de la Commission européenne sur le sujet, publié en 2017, la France est le deu- xième pays d’accueil après l’Allemagne. Plus précisément, les trois premières nationalités de travailleurs détachés en France sont les Polonais, les Portugais, les Espagnols puis les Roumains et concentrent à eux seuls plus de 63% du flux de main-d'œuvre détachée dans l'Hexagone. Face à cet afflux, on peut déplorer que l'inspection du travail peine à exercer ses missions de contrôle (un peu moins d'un millier en 2017, contre 1330 en 2016). Et même si les amendes se multiplient, les montants sont si dérisoires qu’ils ne sont pas de nature à faire changer les comportements : un peu moins de 6 millions d'euros ont été recouvrés en 2017. Un renforcement de notre politique de contrôle et des sanctions afférentes doit donc devenir une priorité.

Comment expliquez-vous cette forte progression du recours aux salariés étrangers ?

L’Europe a créé une sorte de système de concurrence sociale entre les pays car en conservant la protection sociale de leur pays d’origine, le poids salarial des travailleurs détachés est plus faible compte tenu notamment de l’hétérogénéité des régimes sociaux dans l’Union européenne. Ainsi, un salarié détaché est moins coûteux pour un employeur qu’un recrutement local puisque les employeurs paient les charges sociales et patronales du pays d'origine.Pour les salariés rémunérés principalement au-des- sus de salaire minimum le taux de cotisations sociales patronales est plus lourd en France que dans la majorité des pays européens et notamment de l’est (le CICE a réduit cette fracture pour les salariés rémunérés au salaire minimum). Dès lors, ces écarts rendent le détachement plus « avantageux ». En effet, le taux d'imposition global en France d’environ 65%, dont près de 52% pour les charges sociales. La France reste donc l'un des pays qui taxent le plus les entreprises. Ce mécanisme européen a créé une forme de « dumping social ».

Comment évaluez-vous les engagements du gouvernement à ce sujet ?


Le sujet du coût des cotisations sociales patronales a alimenté le débat de la dernière campagne présidentielle. En annonçant de nouvelles règles et une réforme européenne rapide « pour que nous puissions construire une vraie refondation de cette directive européenne du travail détaché » le Président de la République a laissé supposer un durcissement de la position française. Mais, après ces déclarations, il n’y a que très peu de changement. En 2019, se tiennent des élections européennes. Ce sujet devra être clairement tranché et dépasser les seules déclarations d’intention. La France ne peut continuer à vouloir ménager tous ces partenaires au risque de doper les extrêmes. La qualité de nos entreprises à relever les défis est immense. L’ingéniosité de nos chefs d’entreprise doit être accompagnée et ce n’est pas à la technostructure européenne de fixer le débat mais aux politiques de prendre leurs responsabilités. La France doit s’imposer pour préserver ses entre- prises et ses emplois. Arrêtons d’accepter qu’il soit difficile de changer les règles de l’UE. Il faut changer les règles qui régissent ce statut des travailleurs détachés. Et, j’in- siste : l’Europe ne doit pas nous imposer ce que nous ne pouvons accepter.