L'état de la base industrielle de défense européenne par Jean-Marie Bockel

Dans le cadre de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, vous venez de présenter un rapport général sur « L'état de la base industrielle de défense européenne ». Pourquoi pensez-vous qu'il s'agisse d'un enjeu essentiel ?

Le débat sur le partage des charges – à savoir l'engagement des membres de l'OTAN à consacrer 2% de leurs PIB aux dépenses de défense, dont 20% au moins à l'investissement – est aujourd'hui une priorité à l'agenda transatlantique.

De plus, se pose la question de l'avenir de l'Union européenne au sein de l'Alliance dans un contexte de montée globale des menaces et de diminution de l'engagement des Etats-Unis sur le théâtre européen.

Les pays européens doivent être en mesure de composer le pilier européen de l'OTAN. Pour cela ils doivent créer une identité de défense européenne, complémentaire de l'Alliance. Or, ce pilier européen ne pourra exister que si sa base industrielle de défense est suffisamment structurée.

L’Europe est « pour l’essentiel » un soft power, mais « même les plus grandes puissances pacifiques ne peuvent faire l’impasse sur des capacités de défense intégrées » (Jean-Claude Juncker).

Le renforcement de la base industrielle de défense européenne est un enjeu européen. Néanmoins, 22 pays sont membres à la fois de l’OTAN et de l’UE. Il s’agit donc, au travers de l’intégration du marché de la défense européen, de garantir l’acquisition des capacités nécessaires pour assurer la dissuasion et la défense contre toute menace pesant sur la sécurité et la sûreté de l’Alliance.

Qu'est ce qui fait selon vous difficulté à la création d'un marché unique de défense européen ?

Le projet ambitieux d'un marché unique européen ne manque pas de soutiens – aussi bien au niveau national, qu'européen – mais il ne s'est pas concrétisé faute de volonté politique réelle. Le rendez-vous manqué de la France avec les drones MALE européens en 2013 en est un parfait exemple.

La défense est un domaine par excellence dans lequel les Etats souhaitent préserver leur autonomie et leur souveraineté nationale. Les soldats meurent pour leur patrie, et non pour une entité supranationale.

Pour autant, la notion de souveraineté partagée sur les enjeux de défense progresse en Europe. Les récentes initiatives franco-allemande – développement de l’hélicoptère X6 d’Airbus – et européennes le prouvent.

Quels sont les défis à relever pour l'Union européenne ?

Sur un marché de la défense en mutation – aussi bien en raison du nombre accru de concurrents que de la transformation du paysage sécuritaire – les acteurs européens de la défense doivent œuvrer ensemble pour combler leurs lacunes sécuritaires.

Cela passe par la modernisation de la base industrielle et technologique de défense européenne. A l’heure actuelle, la fragmentation structurelle coûte cher à l’Europe aussi bien en termes stratégiques que financiers. L’absence d’une coordination de la planification et des politiques d’acquisition en matière de défense coûterait quelques 24,6 milliards d’euros par an !

En effet, 80 % des commandes et 90 % de la recherche s’effectuent sur une base nationale, ce qui renchérit les coûts. Et les redondances sont multiples : l’Europe totalise 178 types d’armements, 20 modèles d’avions de chasse, 17 types de chars de combat.

Il y a sur le continent plus de fabricants d’hélicoptères que d’États membres de l’UE, et 70 programmes de drones qui, faute d’être aboutis, engendrent des commandes d’urgence profitant à l’industrie américaine ou israélienne.

Développer la coopération permettrait également d’améliorer la capacité des armées à se déployer en opérations. En raison du manque d’interopérabilité entre les armées, 40 000 soldats européens seulement – 3 % du total – peuvent aujourd'hui l’être.

Le Fonds européen de la Défense : conforter la base industrielle de défense française et en particulier le réseau de PME et entreprises de taille intermédiaire qui composent la chaîne d'approvisionnement européenne de la défense. Proposé en novembre 2016 par la Commission européenne et adopté au Conseil européen en juin dernier, en quoi consiste ce plan ambitieux ?

En un budget annuel de 500 millions d’euros pour la recherche à partir de 2020, auquel s’ajouterait la mobilisation (par l’Union et les États) de 5,5 milliards d’euros par an dans le cadre d’un « volet capacités », avec un instrument financier permettant aux pays d’acquérir des équipements militaires en réduisant les coûts.

Ce Fonds soutiendra la recherche collaborative dans le domaine de la défense et le développement conjoint des capacités de défense. Seuls les projets collaboratifs seront éligibles et une part du budget global sera allouée à des projets impliquant la participation transfrontières de PME. Une décision nécessaire pour conforter le réseau de PME et entreprises de taille intermédiaire qui composent la chaîne d'approvisionnement européenne de la défense.

Ce fond est en réalité assez modeste – il représente jusqu’en 2020 à peine 0,5 % des 35 milliards d’euros investis annuellement par l’ensemble des 28 pays de l’Union dans leurs budgets de recherche-développement – mais il constitue un message politique fort et positif, d’autant plus important que le Brexit a accentué l’incertitude autour de l’intégration de la défense en Europe.

Selon vous, quelles sont les mesures à adopter ?

Nous devons avant tout redoubler d’efforts, notamment dans le domaine de la recherche et du développement, afin d’honorer les engagements de nos gouvernements respectifs .

Pour ce faire, une restructuration des budgets de défense est nécessaire, ainsi que la poursuite de politiques tournées vers la mutualisation des capacités militaires et le partage des charges. Il est également indispensable de consentir sans délai à des investissements de long terme sans lesquelles nos capacités de défense prendront un retard qu’il sera de plus en plus difficile de rattraper.

La fragmentation de l’industrie de la défense est l’un des défis majeurs soulignés dans mon rapport. Réduire cette fragmentation est une priorité absolue pour donner du sens à l’augmentation de nos dépenses militaires. Ceci doit être réalisé avec souplesse, pour promouvoir toutes formes de coopération.

Promouvoir une base industrielle de la défense européenne forte ne suffit pas. Il faut définir des intérêts et objectifs stratégiques communs, exposés dans un Livre blanc sur la défense européenne et visant à approfondir le marché européen de la défense.

Enfin, l’Union européenne est un acteur clé de la consolidation de la base industrielle de défense européenne, d’où la nécessité d’intensifier la coopération entre l’UE et l’OTAN. Toutefois flexibilité et ouverture doivent rester maitre-mots d’un projet d’une telle envergure, afin que le Royaume Uni demeure – en dépit du Brexit – un acteur majeur de l’industrie de la défense européenne.