La majorité roule à contre-sens ! par Gilles Lurton

Député d’Ille-et-Vilaine, Conseiller municipal de Saint-Malo, Gilles Lurton a participé aux travaux de la mission d’information sur l’écotaxe poids lourds.

Mise en place en 2008 dans le cadre du Grenelle de l’environnement, l’objectif de l’écotaxe était d’inciter l’usage de transports moins polluants et plus écologiques comme par exemple, les moyens ferroviaires ou fluviaux. L’idée était aussi de faire participer davantage les transporteurs à l’entretien des routes sur le principe : celui qui utilise le plus, dégrade le plus.

Pourquoi le mouvement contestataire a été plus violent en Bretagne avec l’apparition du mouvement des bonnets rouges que dans le reste de la France ?

L’installation de ces portiques a mis le feu aux poudres en Bretagne mais je pense que la crise était beaucoup plus profonde. Les professionnels de la filière ont alerté à maintes reprises sur les risques de cette majoration et sur l’impossibilité pour eux de répercuter son coût sur les chargeurs, alerté aussi sur les risques économiques liés à une telle imposition, notamment dans les régions périphériques comme la Bretagne. Cette région connaît une crise dans les secteurs agricoles et agroalimentaires. Ces deux secteurs dépendent très largement du transport. De plus, la Bretagne ne dispose pas d’autres moyens alternatifs vers lesquels elle aurait pu reporter le fret routier. Mais le sujet vaut également pour le Nord-Pas-de-Calais avec ses PME. Les Bretons ont été à l’origine d’une contestation qui pouvait devenir nationale.

J’ajoute, pour ma part, qu’entre le Grenelle de l’environnement de 2008 et aujourd’hui, le contexte économique a changé et la situation de nos entreprises s’est considérablement dégradée. Elles doivent faire face à un système de plus en plus concurrentiel au niveau européen et leurs marges sont très faibles surtout dans le domaine du transport routier. Elles doivent aussi faire face à une concurrence parfois illégale des camions de moins de 3,5 tonnes qui circulent souvent en surcharge et sont malheureusement trop peu contrôlés.

Je peux comprendre la nécessité de créer une imposition écologique notamment dans la mouvance du Grenelle de l’environnement, l’intérêt aussi qui existe à faire contribuer les transporteurs étrangers qui traversent notre pays à l’entretien du réseau routier. Cependant, il faut bien reconnaître que l’écotaxe est un nouvel impôt profondément inégalitaire en fonction de l’éloignement de la région dans laquelle vous habitez, en fonction aussi de l’impossibilité qui existe dans certains secteurs à utiliser des moyens alternatifs aux transports routiers.

En bref, l’année 2013 aura été le catalyseur des inquiétudes et aura vu l’émergence d’une contestation de ce prélèvement dans un contexte de ras-le-bol fiscal asphyxiant pour nos entreprises et dégradant pour leur compétitivité. Face à une telle montée des mécontentements, le Gouvernement de Jean-Marc AYRAULT, menacé d’une révolte fiscale, a suspendu le système et a créé à l’Assemblée nationale une mission d’information sur l’écotaxe poids lourds.

La mission d’information a remis son rapport le 14 mai 2014, quelles ont été ses conclusions ?

Pour avoir participé assidument aux travaux de la mission, je tiens tout d’abord à reconnaître qu’elle a beaucoup travaillé, beaucoup auditionné et que son Président le Député Chanteguet a fait preuve d’une très grande impartialité dans les débats. Son travail a été fortement contrarié par les déclarations de Madame Ségolène ROYAL qui, à peine nommée ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, demandait « une remise à plat du dispositif » en insistant sur son souhait de ne pas voir l’écologie associée à une imposition.

 

D’où la première proposition du rapport de la mission visant à transformer l’écotaxe en « éco-redevance » poids lourds ce qui ne répondait pourtant en rien à la volonté de la ministre de l’écologie.

 

La mesure principale du rapport propose la création d'une franchise kilométrique mensuelle de 400 km calculée sur la base d'un taux kilométrique modulé en fonction du poids des camions et de leurs émissions polluantes. Une mesure tout aussi inacceptable pour les contestataires, en total décalage avec la réalité économique du transport routier puisque le trajet moyen parcouru chaque jour par un poids lourds en France est de 400 kilomètres.

 

Le rapport propose également d'autoriser les transporteurs en compte propre à faire figurer en "pied de facture" les montants d'éco-redevance réellement payés. La mission préconise aussi de relever le taux de la redevance sur des axes subissant une forte congestion, comme la RN 10, ou sur certains itinéraires routiers parallèles au futur canal Seine-Nord Europe.

Vous le voyez, ces propositions vont uniquement dans le sens d’une écotaxe retravaillée à la marge et fondée sur des aménagements techniques. Leur seul objectif était de remettre en place au plus vite l’écotaxe, récupérer ainsi les gains financiers liés à cette imposition et aussi respecter le contrat qui lie le Gouvernement à la société Ecomouv. Des solutions inacceptables pour les acteurs économiques, des solutions aussi en total décalage avec les propos de la ministre. En refusant par principe toute alternative à l’écotaxe, nous pouvions craindre que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Le rapport a pourtant été adopté par les membres de la mission !

Oui par 18 voix pour et 14 contre. J’ai personnellement voté contre ce rapport comme d’ailleurs tous les parlementaires bretons quelle que soit leur appartenance politique.

 

A la suite de ces conclusions, le Gouvernement a décidé de remplacer l’écotaxe par un péage de transit poids lourds. Qu’en pensez-vous ?

 

D’un premier aperçu, je l’ai accueilli comme un soulagement. Mais, très vite je me suis rendu compte des difficultés que pouvaient créer ce nouveau système.

 

Difficultés financières d’abord. Nous passons d’une recette estimée dans l’ancien système à 1,5 milliards d’euros à une recette de 400 millions d’euros affectée à l’Agence de Financement des Infrastructures de Transports de France (AFITF). Or le Gouvernement nous a toujours assuré qu’il avait absolument besoin de cette rentrée financière pour assurer l’entretien de notre maillage routier national. Nous pouvons aussi nous demander comment, dans le nouveau système, sera assurée la rémunération de la société Ecomouv estimée antérieurement à 250 millions d’euros ?

Ensuite, les régions périphériques subissent toujours de plein fouet l’inégalité de cet impôt. Je reconnais que si le réseau routier de la Bretagne a été très largement exclut de cette taxe nouvelle version, le problème reste entier puisque la plupart des transporteurs qu’ils soient bretons ou de toute autre région expédient la majeure partie de leurs produits en-dehors de leurs régions d’origine et seront donc soumis à une écotaxe forfaitaire dès les premiers kilomètres parcourus, que ce soit sur une route écotaxée ou non. C’est sans doute ce qui explique le mécontentement et l’incompréhension des principales fédérations de transporteurs. Autre difficulté majeure, les routes sur lesquelles s’appliquera le dispositif est renvoyé à un décret. L’incertitude n’en demeure pas moins considérable même si une carte a été publiée dans la presse. Un seuil de 2500 poids lourds par jour circulant sur les routes écotaxées a été fixé. Mais quel est la pérennité de ce seuil ? Qu’est ce qui empêchera un gouvernement de l’abaisser ultérieurement à 2000, 1500 ou 500… ?

Enfin, sur la mise en place de la tarification, elle se fera avec un taux moyen de 13 centimes par kilomètre modulable en fonction de la distance parcourue, du niveau de pollution et du nombre d’essieu de camion. Les camions de plus de 3,5 tonnes devront être équipés d’un boîtier GPS qui calculera le parcours et la facture. Je ne vois pas comment le Gouvernement pourra imposer cela aux entreprises pour une mise en place au 1er janvier 2015, avec une marche à blanc sans facturation annoncée dès le 1er octobre 2014 pour une durée de trois mois.

Mais alors que proposez-vous ?

Critiquée par les uns, parfois réclamée par les autres notamment les décideurs des régions les plus frontalières qui souffrent d’un transit incessant de poids lourds étrangers, l’écotaxe devait nous permettre de basculer vers une fiscalité écologique. C’était du moins l’objectif du Grenelle de l’Environnement. Nous voyons bien que le nouveau dispositif imaginé par le Gouvernement de Monsieur Valls consacre son abandon.

Nous avons besoin de nouvelles recettes pour financer l’entretien de nos routes et de nouveaux moyens de transports, plus économiques, plus écologiques. Aussi, je propose que, sur les 20 milliards alloués aux entreprises dans le cadre du CICE et, en particulier sur les 2,5 millions alloués à la grande distribution, une partie soit récupérée pour compenser la perte de recettes liée à l’abandon de l’Ecotaxe. Après tout, un tel abandon ne bénéficie t’il pas aussi aux entreprises de grande distribution qui, du même coup, n’auront pas à payer cet impôt supplémentaire ? Pourquoi toujours reprendre d’une main ce que nous donnons de l’autre ? Cela serait ainsi plus raisonnable, plus rationnel et, en tout état de cause, moins défavorable à l’emploi.