Améliorons notre justice commerciale, sans pour autant dénaturer son essence par Marcel Bonnot

Marcel Bonnot, député du Doubs, avocat et membre de la commission des lois de l’Assemblée nationale, a co-rédigé le rapport de la mission d'information sur le rôle de la justice en matière commerciale, paru le 24 avril 2013. Il se prononce en faveur d’une justice commerciale à la française plus sûre encore, plus attractive et aussi opérationnelle que possible de façon à mieux appréhender les enjeux économiques actuels et futurs dans une conjoncture des plus tendues pour nos entreprises.

 

L’institution judiciaire en France demeure souvent sous les feux de l’actualité. Elle crie pour certains observateurs à une nécessaire évolution, elle pêche pour d’autres par une attitude trop corporatiste s’abritant trop facilement derrière une incontournable valeur qui de plus en plus peut apparaître à géométrie variable « la sacrosainte indépendance ».

C’est dans cet esprit que bien des spéculations ont entourées les motifs qui ont présidé à la création par la commission des lois d’une mission d’information sur le rôle de la justice en matière commerciale.

Or le rapport déposé par la mission ainsi habilitée sous l’autorité de Cécile Untermaier et Marcel Bonnot, respectivement Rapporteure et Co-rapporteur, a permis de mettre en exergue que notre justice commerciale s’illustrait par les services rendus depuis maintenant cinq siècles. Le constat dressé s’avère ainsi globalement rassurant en dépit de quelques affaires graves qui ont pu secouer la justice commerciale comme d’autres affaires continuent à secouer d’autres pans de notre justice en général. Il convient d’abord de relever que si les premiers tribunaux de commerce sont apparus dès 1419, leur organisation n’a pas été ballotée au cours des temps par une frénésie de réformes, loin s’en faut. Les tribunaux de commerce sont composés de juges non professionnels, à savoir des commerçants élus par leurs pères qui tirent une double légitimité de leur élection et de leurs connaissances des milieux économiques financiers, techniques et des pratiques commerciales ; autant d’éléments qui échappent à la formation des juges professionnels selon les déclarations du directeur de l’école nationale de la magistrature lui-même. Cette organisation propre à la justice commerciale n’est pas uniforme sur notre territoire, l’Alsace Moselle lors de son rattachement à la France a conservé les éléments du droit Allemand. C'est ainsi que sur cette partie de notre hexagone, la justice commerciale connait de l’échevinage mêlant juges professionnels et juges non professionnels. C’est aussi le cas pour les départements d’outre-mer, la Nouvelle Calédonie et la Polynésie Française.

Des travaux menés par la mission, il est apparu :

Que la justice commerciale de notre pays est rapide, peu coûteuse car fondée sur le bénévolat et la disponibilité ;
Qu’elle génère des solutions à la fois pragmatiques et techniques ;
Qu’elle favorise une jurisprudence reconnue comme créative et innovante ;
Que toutefois elle n’arbore pas le même degré de compétence suivant qu’elle est rendue par de grands tribunaux, des tribunaux moins importants ou de petits tribunaux, la France comptant sur l’ensemble de son territoire 134 tribunaux de commerce, représentés par 3100 juges, 250 greffiers et 2300 salaries de greffe ;
Que le taux d’infirmation de ses décisions en cour d’appel, maîtrisée alors par les magistrats professionnels, est inférieur à bien d’autres juridictions et élément important, n’est pas supérieur en tout cas aux décisions rendues par des juridictions qui connaissent de l’échevinage ;
Que cette justice commerciale est louée pour sa proximité avec le justiciable.

Toutefois c’est cette proximité entre le juge commerçant et le justiciable qui fait aujourd'hui débat. En effet autant qu’elle peut favoriser l’élaboration de solutions efficaces au regard des enjeux économiques, autant sur certaines affaires, à tort ou à raison, elle peut être suspectée de connivence et de conflit d’intérêt. En tout cas les travaux de la mission ont permis à cet égard de tordre le cou à des reproches trop facilement véhiculés quant à son impartialité et ses compétences.

Si des auditions réalisées, il apparaît que la justice commerciale remplie ses fonctions d’une façon satisfaisante, cela n’exclut nullement que des propositions puissent être faites pour améliorer son caractère opérationnel et la rendre plus sûre encore.

C’est dans ces conditions que la mission, dans un esprit des plus constructif, préconise 30 propositions pour la justice commerciale. Parmi les principales, il convient de citer celles qui tendent à :

Revoir les modalités et critères de l'élection du juge consulaire qui serait confiée dorénavant aux chambres de commerce et d’industrie et aux personnes inscrites sur les registres de la chambre des métiers ;
Intégrer au corps électoral et rendre éligible les artisans ;
Instituer des commissions près les cours d’appel, formées de juges professionnels et de juges consulaires ayant pour mission d’évaluer la capacité des candidats aux fonctions de juge des tribunaux de commerce et d’établir des listes d’aptitude ;
Etablir des incompatibilités entre la fonction de juge d’un tribunal de commerce et l'exercice d’un mandat électif ou d’une activité entretenant des rapports réguliers avec la justice commerciale ;
Mettre en place un véritable code déontologique décrivant de manière complète les conduites résultant des exigences éthiques découlant de l’exercice de la fonction de juge auprès d’un tribunal de commerce ;
Donner un véritable statut aux juges des tribunaux de commerce ;
Rendre une formation initiale et continue obligatoire pour les juges consulaires ;
Mieux spécialiser les magistrats professionnels sur les questions économiques et financières alors que pour l’heure aucune formation spécifique ne leur est dispensée à cet égard à l’école nationale de la magistrature ;
Favoriser l’accès des juges consulaires aux statuts de magistrats professionnels par le biais de recrutements hors concours ;

 

La deuxième partie du rapport de la mission d’information porte sur une nouvelle organisation des procédures commerciales.

Sur ce chapitre particulier, il existe entre madame la Rapporteure et le Co-rapporteur, que je suis, des points de convergences, notamment sur la nécessité d’envisager une réorganisation du maillage territorial des tribunaux de commerce, en effet les 135 tribunaux de commerce qui sont implantés sur notre territoire demeurent d’importance très différente, il y aurait donc nécessité à cet égard de se pencher sur l’élaboration d’une nouvelle carte judiciaire tenant compte pour ce faire d’un certain nombre de critères préalablement définis et concertés avec les acteurs concernés.

 

 

Quant aux points de divergence entre la Rapporteure et le Co-rapporteur, ils ne sont pas des moindres.

Le premier touche à la possibilité qui serait offerte aux parties aux litiges relevant du contentieux général le droit d’obtenir en début de procédure, par une demande motivée, le renvoie de l’affaire vers un autre tribunal de commerce, voire une formation mixte, c’est à dire composée d’un magistrat professionnel et de juges consulaires. Pour le Co-rapporteur que je suis, une telle initiative semble se heurter à un principe du droit français selon lequel le justiciable ne saurait prétendre au choix de son juge. En outre, cette proposition reviendrait à mettre en place une forme de justice à la carte qui pourrait être perçue par le tribunal initialement saisi comme un désaveu sans fondement et se révéler également comme une manœuvre dilatoire à l’initiative d’un débiteur peu scrupuleux. Enfin cette proposition semble d’autant moins justifiée que l’arsenal législatif actuel au travers de dispositions propres au code de commerce comme à celui de l’organisation judiciaire, si les intérêts en présence le justifient, permettent de renvoyer l’affaire devant une autre juridiction.

Enfin, le Co-rapporteur que je suis s’oppose au principe d’une formation mixte en matière de contentieux général, fusse au regard du caractère complexe du dossier. En effet en matière de contentieux général, les tribunaux de commerce ont surtout à connaître de contrats commerciaux et de demandes en paiement de facture, or il est indéniable qu’ils excellent dans ce genre de contentieux. Le très faible taux d’infirmation en appel en est une illustration. De surcroit, la présence renforcée du parquet aux audiences et les moyens nouveaux qui pourraient lui être conférés ajoutent à une nécessaire sécurité sans qu’il soit besoin de recourir à une forme d’échevinage déguisé.

Une divergence notoire existe également en matière de procédure collective. En effet, si madame la Rapporteure et moi-même sommes d’accord pour reconnaître à des pôles spécialisés une compétence exclusive pour les procédures particulièrement complexes affectant des entreprises dont le total de bilan, le chiffres d’affaires et le nombre moyen de salariés dépassent certains seuils, pour tout autant, à la différence de madame la Rapporteure, je ne vois pas l’intérêt d’une composition mixte pour ces pôles spécialisés mêlant magistrats professionnels et juges consulaires en première instance comme en appel. Pour ma part, j’estime que ces pôles spécialisés devraient être exclusivement composés de juges consulaires. Là aussi le faible taux d’infirmation des décisions prises par les juges consulaires montre qu’il est parfaitement inutile de faire intervenir un magistrat professionnel dans la formation de jugement de ces pôles spécialisés. Il ne saurait être contesté que les juges consulaires les plus aguerris sont en effet rompus à la difficulté de l’exercice. Aussi et par ailleurs, dès lors que le parquet bénéficiera d’une meilleure formation économique et financière et qu’il disposera de moyens au sein de ces éventuels pôles spécialisés, les éléments seront réunis pour une justice aussi sécurisée que possible, sans qu’il soit besoin d’en rajouter.

Dans ces conditions, rien ne milite pour l’introduction de juges professionnels en première instance, ni de juge consulaire en appel, les rares réformations enregistrées au niveau de la cour en matière de procédures collectives suffisent à démontrer que l’exigence de juge consulaire en appel ne se justifie pas.

 

En conclusion, le fait de donner un véritable statut au juge consulaire, de revoir son mode d’élection, de lui apporter un socle déontologique, une formation initiale et continue, auquel viendra s’ajouter la présence permanente du parquet en matière de contentieux général comme en matière de procédure collective avec des moyens renforcés, sont autant d’éléments qui permettront demain à la justice commerciale d’apporter sécurité, impartialité, technicité, efficacité, sans qu’il soit nécessaire de recourir à une forme d’échevinage dont la justice n'a pas les moyens, et qui tiendrait davantage d’une mesure simplement apparemment rassurante, voir dogmatique, plutôt que réellement efficace.